De Calama à Salta par le Paso Sico

« Alors, la nuit gémissait tout doucement au fond du silence. Il faisait un froid serré. Sur tout le pourtour des montagnes, le ciel se déchira. Le dôme de nuit monta en haut du ciel avec trois étoiles grosses comme des yeux de chat et toutes clignotantes. » – Jean Giono, Le Chant du monde

« Tu ne vas pas jusqu’au bout de tes idées. Tu marches vers l’horizon alors que tu devrais vivre à l’horizon – et l’horizon, ce n’est pas le ciel, c’est la terre parcourue. C’est le désert quand tu le traverses de bout en bout. Agis ta pensée ! Fais-la courir au sol ! Brise-la aux gens, mon gars ! Confronte-la au réel ! » –
Alain Damasio, La Zone du Dehors

« Je suis d’un autre pays que le vôtre, d’une autre quartier, d’une autre solitude. Je m’invente aujourd’hui des chemins de traverse. Je ne suis plus de chez vous. » – Léo Ferré, « La Solitude »

carte paso sico

Chili, du sud au nord. Le grand écart entre les montagnes verdoyantes et chargées de glaciers, de cascades, de pluie et le désert d’Atacama, ses reliefs arides, salés, minéraux. En atterrissant à Calama, plusieurs changements de taille depuis la Patagonie. La roue de la remorque est réparée, mais nous préoccupe, atmosphère latine, le climat est chaud et sec, ce ne sont plus les arbres qui dessinent l’horizon et nous appréhendons nos corps en altitude pour les 700 km à venir jusqu’à Salta. Sur cette partie, nous goûtons plus volontiers la solitude que la ville, où le tourisme nous laisse amers. Pourtant, les belles rencontres ne manqueront pas.

Vallée de l’Arcoiris

A Calama, nous sommes chez Fernando, qui profite de l’absence de sa maman pour nous accueillir avec Thomas, un cyclo allemand. Sexagénaire culturiste, motard et cycliste, étrange et curieux personnage tiraillé entre une envie de liberté et de connaissance, de voyage à Cube et une nostalgie pinochetienne amnésique à la folie, sa générosité est sans limite. Il cultive sa virilité avec le sport et une petite amie replète de 20 ans de moins que lui. En nous remettant en selle, nous entamons un nouveau voyage, soleil, chaleur, désert et altitude. Nous partons aux aurores pour tenter de les conjurer. Aussi nous attend un éprouvant dénivelé de 1000m sur 60km, à 3000m d’altitude, et nous parvenons mal à garder notre souffle dans ce paysage lunaire, où seules les éoliennes proposent un peu de mouvement à nos yeux. A mesure que nous nous approchons du col (invisible tellement il est étiré), nous apercevons la chaine de volcans qui matérialise la frontière avec la Bolivie au nord. A la limite de l’hypoglycémie, nous déjeunons à l’ombre du seul abribus. Petit détour de 60 km aller-retour pour aller bivouaquer dans la Vallée de l’Arcoiris et retarder un peu plus l’arrivée en ville. Nous nous rapprochons des volcans, dont le Sairecabur (5920m) et glissons dans un petit canyon gardé par les lamas et quelques bâtiments en terre crue délaissés. Quand nous arrivons à l’entrée de la vallée arc-en-ciel, l’obscurité tombe déjà, mais elle nous appartient, seuls subsistent des touristes mexicains fortunés (immigrés français qui « ont eu du succès »), mais curieux et un photographe solitaire qui établira son camp de base plus loin. Le lendemain, nous assistons au lever de soleil sur des falaises rouges, vertes, blanches et violettes, que nous visitons à tour de rôle, vélo vide, pour couronner un des plus beaux bivouacs du voyage. Silence et solitude parfaits, rare sensation de contemplation et de plénitude avant l’arrivée de l’armada de bus.

_MG_7510_MG_7522_MG_7545_MG_7597_MG_7622

Vallée de la Lune

La remontée de la Vallée de l’Arcoiris est assez sportive, mais nous décidons de renouveler le bivouac le soir suivant dans la Vallée de la Lune le soir suivant et repousser la ville à nouveau. Après un « autostop-bouteilles d’eau », qui nous permet d’être à nouveau autonomes pour une nuit, nous longeons la Vallée de la Lune contre le puissant vent du soir, jusqu’à l’ancienne entrée fermée, creusée dans la muraille. Nous mettons la tente à l’abri du vent qui souffle dans tous les sens, dans l’ancien bureau d’entrée. A 22h, le vent s’éteint brusquement et laisse place au silence, nous contemplons les étoiles. Décor de Star Wars. Nous traversons la Vallée quasiment seuls dans ce décor de falaises de dunes, de quartz, de sels qui scintillent dans la forte lumière du matin. Nous traversons les vestiges des mines de salpêtres, de ses bâtiments et de ses machines. Encore une autre planète aux parois grumeleuses, striées, facettées. Le passage par San Pedro – modèle Montmartre appliqué à l’Atacama – est agressif et nous profitons plus volontiers du calme de la zone résidentielle et d’une marche dans les ruines d’une ancienne cité fortifiée (le Pukara de Quitor), à l’inverse de la ville, toute dédiée au tourisme et à la consommation de caucasiens, qui se ravissent d’être menés en bus, se faire entendre où prendre la même photo que tout le monde et voir de l’indigène déguisé lui vendre le souvenir qui l’étiquettera avec fierté « j’ai voyagé dans les Andes ». Une matinée en tour pour aller voir les geysers d’El Tatio, finira de nous dégouter du cynisme du tourisme de masse, où l’homme aime et paye pour le contrôle de ses mouvements, son alimentation, son sommeil, au nom de l’ouverture sur le monde. Cauchemar de romans d’anticipation.

_MG_7680_MG_7713_MG_7746

Le Paso Sico – côté chilien

Nous quittons San Pedro de Atacama et son brouhaha infernal avec soulagement. Traverser le désert avec le Salar d’Atacama au large est d’autant plus salvateur et agréable. Pause à Toconao et sa petite vallée maraichère au milieu du désert. Nous bivouaquons à la nuit tombée dans un petit canyon, en bas de la route, avec un orage silencieux sur l’altiplano au loin. C’est le deuxième jour de l’ascension qui sera le plus éprouvant, avec notamment une montée de 1500km en 30km, à plus de 3000m d’altitude, qui nous prendra une bonne partie de la journée et de l’énergie. Nous faisons une pause à Socaire, où les gérantes d’un restaurant nous offrent le repas, tant nos têtes leur inspirent de la pitié. Merci aussi à Nine pour son charme constant. La suite est éprouvante, mais avec une dizaine de volcans en ligne de mire. Pas d’endroit propice au bivouac sur les 45km suivants, et nous redescendons dans l’obscurité vers notre camp, avec la silhouette du volcan Miniques dans le dos. Le froid tombe, je me couvre avec toutes les couches possibles, la fièvre monte et les carabineros inquiets pour Nine s’arrêtent. Nous les rassurons et leur donnons rendez-vous le lendemain pour le café. Arrivés sur le bivouac, nous sommes à peine abrités du vent par un monticule, fiévreuse et malade, je suis hors-service et Julien s’attèle au montage de la tente pour nous y installer. Sous la tente, je les entends manger le plat que nos amies du restaurant nous ont offert avant de sombrer. Le lendemain, nous découvrons le paysage où nous avons dormi, Aguas Calientes, le site – las Piedras Rojas – est fermé au public et protégé par les habitants, car il a été endommagé, tagué par les touristes l’an passé. Ce jour-là, nous visions le poste-frontière à 70km, mais mon état de fatigue ne me permet pas de surmonter le manque d’oxygène et le un poids sur la poitrine. A 30 km, nous demandons le gîte à l’ancienne mine El Campamiento El Laco, dont deux gardiens maintiennent la torpeur, et qui nous accueillent simplement et très chaleureusement. Ils nous offrent une chambre et le couvert. Juan Carlos et Claudio accueillent les cyclistes régulièrement. Décor de La Chose ou base arctique, à l’abri du monde, je m’y retape complètement. Nous partons aux premières lueurs du jour, accompagnés par une vigogne, avec leur pain maison et leurs fruits, alors qu’ils préparent l’arrivée de la relève. Café chez les carabineros comme prévu, et deuxième petit déjeuner, avant de rejoindre le point culminant du col à 4600m, avec le volcan Puntas Negras (5850m) et ses dégradés d’ocres et de rouges derrière nous. La descente est salvatrice, excitante et déjà nostalgique, est elle aussi à couper le souffle. Le nombre de couleurs sur ces horizons minéraux est surprenante. Une autre planète. A la frontière, l’asphalte laisse place au ripio argentin adoré et nous pressons la pédale jusqu’au poste un orage aux trousses. Finalement, la traversée du Paso Sico n’est pas si inhabitée que cela, si on ajoute une base de déminage.

_MG_7838

_MG_7909

_MG_7867_MG_7869_MG_7878_MG_7915_MG_7920_MG_7886_MG_7928

 

_MG_7947_MG_7962_MG_7967_MG_7971_MG_7983_MG_7984_MG_7987_MG_7988_MG_7995

Le Paso Sico – côté argentin

En altitude, tous les nuages sont beaucoup plus impressionnant, écrasants. Dans ces paysages tout confère à se sentir minuscule, l’homme mesure de toute chose avec humilité. Au poste-frontière binational, la croisière s’amuse, police d’investigation, gendarmes, douaniers des deux pays font montre d’une fraternité saine et naturelle, qui chauffent les coeurs au milieu de nulle part. Un futsal sous hangar se profile à la fin de la journée. Nous y sommes hébergés dans un bâtiment dédié aux voyageurs fatigués, où nous rencontrons Anthony, ami et compagnon de route jusqu’à Salta. Côté argentin, des touffes d’herbes ajoutent une touche de vert aux pans de sable. Les montagnes offrent toujours des couleurs chamarrées et les mines, toujours en activité, parent le paysage de trainées de poussières laissées par les camions qui s’élèvent dans le ciel est y restent longuement, comme des nuages. Toujours entre 3000 et 4000km, nous dormons successivement dans un canyon près d’une mine, derrière une église, dans une ancienne gare. Nous suivons en effet dans la vallée, une impressionnante voie ferrée reconvertie sur une partie en train touristique, vestige et actualisation de la mégalomanie humaine. Cernés et surveillés par les milliers de cactus dressés, nous rencontrons des bords de rivière verdoyants et contrastants, cultivés par les habitants revendiquant leur filiation indigène, à mesure que nous descendons. A General Maury, dernière étape avant Salta, le couple qui habite l’ancienne gare, nous ouvrent une pièce pour la nuit, impossible d’atteindre Salta le soir, le vent nous retarde comme si nous roulions à plat. Le village est en pleine préparation de la fête du maïs et nous goutons la confiture de courge. Notre traversée de la Cordillère des Andes, sauvage et solitaire, à l’abri du monde, s’est finalement enrichie de rencontres, et se termine en retrouvailles avec nos amis Javier, Anaëlle et Jonas, qui nous attendent à Salta.

_MG_8001_MG_8006_MG_8011_MG_8013_MG_8018_MG_8030_MG_8031_MG_8047_MG_8060_MG_8061_MG_8075

_MG_8112_MG_8140_MG_8180_MG_8187_MG_8209_MG_8226_MG_8230_MG_8241_MG_8244

Un commentaire sur “De Calama à Salta par le Paso Sico

Répondre à Bila Annuler la réponse.