Les portes de la Patagonie

« Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse. »

Blaise Cendrars

Le voyage à vélo est une chose facile à idéaliser. Les photos qu’on en montre, ici et ailleurs, ne sélectionnent que les meilleurs endroits et meilleurs moments. On prend rarement des photos quand on en bave, de ces moments où on est au fond du gouffre, ceux où on se demande « pourquoi on fait ça déjà ? ». Mais il ne faut pas se méprendre, c’est une pratique qui peut souvent s’avérer très ingrate. Combien de centaines de kilomètres sur des routes sans intérêt pour quelques kilomètres sur le lieu tant espéré. L’enfer, c’est les autres. Il y a d’abord tous ces camions qui s’écartent à peine quand ils vous doublent, qui vous éclatent les tympans quand ils klaxonnent en pensant vous saluer amicalement et le blast en pleine face quand il arrivent dans le sens opposé. Les voitures qui vous doublent à 140km/h . Des grands axes routiers inévitables parce que personne ne s’est jamais dit qu’on voyagerait autrement qu’en voiture. Des journées à pédaler sur des routes monotones qui s’étendent sur 12 à 14h parce qu’il n’y a absolument nulle part où s’arrêter, parce qu’il faut de l’eau ou de quoi manger, parce que le relief vous empêche d’avancer, parce qu’il n’est pas possible de pédaler sur le chemin de terre choisi tant le poids du vélo fait patiner la roue arrière, parce qu’il n’y a parfois aucun abri contre la pluie et que s’arrêter vous fait crever de froid, parce que le vent de face toute la journée, parce qu’il n’y a aucun abri contre ce foutu vent, parce que les chiens qui te courent après…

Alors pourquoi le voyage à vélo ? La réponse est dans la question. Parce qu’il y a des paysages qui arrivent à te faire oublier la pluie, le froid et le vent. Parce qu’un bol de nouilles instantanées sous la tente ou une limonade dans une station service décrépite peut suffire à te faire reprendre du poil de la bête. Parce qu’on se rend compte que tout ce dont on a besoin peut tenir dans quatre sacoches. Parce qu’on dort du sommeil du juste. Parce qu’un jour on déplie la carte et on découvre que le trajet effectué uniquement grâce à ses jambes commence à représenter quelque chose. Parce qu’on apprend tous les jours, sur nous-mêmes, sur l’autre. Parce que les gens. Cette humanité que tous les médias s’accordent à nous montrer sous son mauvais côté nous apparaît sous un jour nouveau. Parce que devant la désuétude de cet effort, les barrières tombent plus facilement. Combien de personnes nous ont aidé ? La gentillesse et la générosité n’ont pas de barrière sociale, ni culturelle. Parce qu’on a pu se trouver une famille pour Noël. Parce que l’espace de quelques mois, nous sommes la seule autorité à décider de notre emploi du temps. Parce qu’on n’a pas besoin de savoir quel jour on est. Parce qu’à la fin de la journée, on peut être fier de ce qu’on a fait. Parce que dans l’absolu, tout le monde pourrait le faire. Finalement, parce que c’est un voyage, dans une de ses rares formes authentiques qui existent encore, aussi désuètes soit-elle.

La Patagonie même si elle attire plein de cycliste n’est pas spécialement une région facile pour le vélo. Mais on espère toujours que ça ira mieux pour soit que pour les autres. Effectivement, des le Rio Colorado franchi aucune journée de vélo n’a été facile.

Première nuit d’hôtel à Bahia Blanca pour prendre une pause. Pendant le checkin’, Marie fait la connaissance de Joan, Martina et Didac. Quelques années plus tôt, ils sont partis à vélo de Bolivie jusqu’à un village de pêcheurs qui s’appelle Los Pocitos où ils ont décidé de s’installer. « Venez, on mangera du poisson ». Il n’en faut pas plus pour fixer le rendez-vous. Nous quittons Bahia Blanca avec Gabriel, cycliste brésilien (le premier) qui voyage pendant 6 mois depuis Sao Paulo. Il nous faut 2 jours pour avaler les 240 bornes. Vent de face, chemin de ripio, nous arrivons à 21h après une nuit dans la caserne des pompiers de Pedro Luro. Une journée pour découvrir le village qui a fait s’arrêter les deux cyclistes et nous repartons. Nous passons un très bon moment avec Joan, Martina et Didac.

Par la suite, les journées de vélos et leurs difficultés vont alterner entre tempête avec vent de face, chaleur accablante, chemin de terre où il nous faut pousser les vélos et distance interminables entre chaque étapes. Diego et Jesica viennent nous chercher en sauveurs à Carmen de Patagones. À Bahia Creek, c’est Elio qui s’occupe de nous et nous ordonne de prendre une pause pour profiter de la plage. L’hiver dernier, un cycliste était passé trop vite pour dormir chez lui. Nous reprenons ensuite la RN 3 avec ses camions. À Sierra Grande, nous dormons dans le presbytère de père Christian avant d’arriver à notre première grande étape : la péninsule Valdes. Fin du premier mois de vélo avec 2000 km au compteur.
À Puerto Pyramides, nous passons quelques jours chez Cristina, elle aussi cyclo touriste. Elle a voyagé de El Calafate à la péninsule, où elle s’est arrêtée, l´été dernier pour travailler et se remplumer un peu avant de reprendre la route. Buena onda, on passe de très bon moment avec elle. On partage nos expériences, elle nous motive pour la suite et nous achevons de la convaincre de reprendre la route dès que possible. D’ici mars ou avril au plus tard, elle redonnera le premier coup de pédale.
Arrivés avec le vent de face, nous repartons avec le vent de face dans le sens opposé. L’objectif pour Noël est Trelew, capitale du Chubut, la région galloise de l’Argentine. Au pied du titanosaure grandeur nature à l’entrée de la ville, nous faisons la connaissance d’Adrian Hughes, Gallo-mapuche et vendeur de stickers de dinosaure. Un drôle de zig de premier abord qui, après 5 minutes nous propose de nous prêter la maison de ses voisins partis en vacances et après 10 minutes nous invite chez lui et sa famille pour le réveillon. Séjour plein de surprises donc, dans cette ville qu’on nous avait vendu comme affreuse. Nous passons 2 jours avec les Hugues, des gens formidables avec qui nous nous lions d’amitié et que, de surprise en surprise, nous ne serons pas sans revoir. Le prochain objectif est la traversée de la route 25 qui relie l’Atlantique à la Cordillière en 500 km.

Trelew, 2200km

















3 commentaires sur “Les portes de la Patagonie

  1. Extraordinaire vous faites plaisir à voir on n’en a tous rêvé vous vous l’avez fait félicitations et bon année 2018 de la part de Véro et Cyrille

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Répondre à Yannick Réa Vannes Annuler la réponse.